Archives mensuelles : décembre 2016

La chance… ou la réussite professionnelle des finissants en archivistique

FRANÇOIS CARTIER, chargé de cours

La chance, messieurs, mesdames, ça n’existe pas. Vous connaissez quelqu’un qui a gagné à la loterie ? Ce n’est pas de la chance. C’est une question de probabilité statistique. La « chance » augmentera si on achète plus billets. Ou bien vous avez appris qu’un collègue n’a pas été licencié suite à des coupures dans votre entreprise ?

« T’as pas été slacké ? Maudit chanceux !
─ Ouais, mais les patrons savent que je fais un sapré bon travail ! »

Ce n’est pas de la chance non plus. C’est de vous rendre utile en performant. La probabilité d’un congédiement en est ainsi réduite.

Vous voulez réussir dans le domaine de l’archivistique ? Ne comptez pas trop sur la chance !

« La chance est un concept qui exprime la réalisation d’un événement, bon ou mauvais, sans nécessairement qu’il y ait un lien de cause à effet entre le désir et sa réalisation, bonne ou mauvaise. » (Wikipedia)

Jouez donc sur la cause pour obtenir l’effet désiré. En d’autres mots, jouez le jeu des probabilités. La probabilité, c’est une évaluation du caractère probable d’un évènement, c’est-à-dire qu’une valeur permet de représenter son degré de certitude (Wikipedia). Plus la probabilité (ou la valeur) est grande, plus le risque (ou la chance) qu’un évènement se produise est élevé.

Réussir dans notre domaine, ça ne s’enseigne pas juste en classe. Le degré de certitude de votre réussite en archivistique ne se trouve pas que dans un manuel. Comme chargés de cours, mes collègues et moi vous fournissons les connaissances pour réussir dans le milieu des archives. Il nous fera aussi plaisir de vous conseiller le cas échéant. Mais une bonne part du chemin doit aussi être parcourue par vous ! Vous voulez en faire de l’archivistique un métier ? Vous voulez voir ce désir se réaliser ? Arrangez-vous alors pour que les probabilités soient en votre faveur ! ET croyez-moi, des « A+ » ne seront pas suffisants pour faire pencher la balance à votre avantage.

Oui, vous pourriez jouer de chance et décrocher votre premier contrat dans le milieu qui vous a accueilli en stage, par exemple. Mais même là, ce ne sera généralement pas dû à la simple chance. Ce sera d’abord le résultat de votre décision de faire le stage (qui est facultatif, je le rappelle). Votre embauche post-stage sera aussi directement liée aux aptitudes dont vous aurez fait l’étalage en stage. Savoir-faire et savoir être. Si vous avez performé dans ces deux secteurs, vous aurez augmenté les probabilités qu’un employeur vous trouve désirable. Cause et effet. Vous avez fait pencher la balance en votre faveur.

Bref, je pensais livrer, comme premier billet, un petit résumé de conseils aux étudiants, ceux qu’on ne donne pas nécessairement en classe, mais qui contribueront à augmenter les probabilités de votre réussite.

  • Parlez à votre prof/chargé de cours. Avant le cours, à la pause, à la fin de cours. Et pourquoi pas pendant le cours (pas en même temps que votre prof, s’il-vous-plaît !). Entamez une discussion, soulevez des questions, remettez même en question ce qu’on vous enseigne ! La personne qui vous donne le cours est d’abord compétente dans son domaine, mais elle en connait aussi beaucoup sur le milieu, ses pratiques, ses acteurs, ses enjeux. Profitez-en !
  • Renseignez-vous ! Ne vous limitez pas aux lectures que recommande votre enseignant(e). En cette ère du numérique, tout est à votre portée : sites web institutionnels (BAnQ, BAC…), blogues, expositions virtuelles. Vous en trouverez même pour votre argent sur les réseaux sociaux où on vous dirige souvent vers du contenu très intéressant.
  • Faites-vous voir ! On vous l’aura surement déjà dit, la vie d’étudiant ne se limite pas qu’aux cours que vous prenez. Impliquez-vous dans l’association étudiante, devenez membre d’un comité de l’Association des archivistes du Québec, du Réseau des services d’archives du Québec ou d’ARMA-Montréal. Offrez même vos services comme bénévole dans une institution qui gère des archives. Ou bien affichez-vous sur les réseaux sociaux. Mettez en ligne des billets, ayez un beau profil sur LinkedIn, ou bien partagez des informations intéressantes sur Facebook ou Twitter. Vous y gagnerez en visibilité.
  • Diversifiez votre portefeuille ! Intéressez-vous aux domaines connexes de l’archivistique, comme l’histoire, la muséologie ou la bibliothéconomie. Et pourquoi pas s’intéresser à la gestion et à l’administration ? Plusieurs milieux demandent des compétences dans ces domaines. De plus, vous aurez à côtoyer des gestionnaires. En apprendre sur leur réalité (gestion de budgets, de projets ou de personnel, par exemple) vous aidera grandement.
  • Dans la même veine que le point précédent, comme l’archivistique est encadrée par plusieurs lois, renseignez-vous ! On ne vous demande pas de devenirs avocats, mais au moins le comprendre les tenants et aboutissants de la législation s’appliquant aux archives. Sachez de quoi il en retourne quand on parle de droit à l’image, de protection des renseignements personnels, de droit d’auteur ou d’équivalence fonctionnelle entre les documents numériques et analogiques.
  • Pensez techno ! En cette ère de l’information et du numérique, on ne peut plus y échapper. Vous devrez encore gérer du papier, certes, mais si vous voulez être un(e) archiviste pertinent(e), vous devrez avoir une bonne base en informatique. Si les termes « clustering », « big data », « métadonnées » ou « web sémantique » vous laissent perplexes, songez à une réorientation de carrière !
  • Apprenez à apprivoiser le changement. Les employeurs mettent l’adaptabilité en haut de leurs critères lors de l’embauche. Tout est en mouvance, surtout dans notre domaine, où le numérique bouscule encore aujourd’hui de vieilles habitudes. Vous devrez non seulement apprendre à gérer le changement, mais aussi à accompagner de futurs collègues dans de nouveaux territoires.
  • Améliorez votre culture personnelle ! Les archives ne naissent pas dans un vacuum. Elles sont produites par une société, par des administrations, par des gens exerçant différentes fonctions. On n’insistera jamais assez sur le besoin d’avoir un minimum de connaissances du milieu dans lequel sont créés les documents. Si vous pensez exercer votre métier d’archiviste au Québec, pensez à comprendre son histoire et celle de ses institutions, sans quoi ses archives n’auront pas grand sens pour vous.
  • Réseautage, réseautage, réseautage ! Ne restez pas dans votre coin ! Allez au-devant des autres et créez des liens avec les gens qui vous entourent, qu’ils soient étudiants, chargés de cours, professeurs ou professionnels dans le milieu. Allez aux 5@7 organisés par les groupes (AAQ, association étudiante, etc.), allez aux colloques ou congrès. Ceux qui les organisent offrent généralement des tarifs réduits aux étudiants. Et tant qu’à y être, pourquoi ne pas présenter vous-même une conférence ou participer à une table ronde ? Ça peut sembler intimidant, mais c’est probablement le meilleur moyen de vous faire connaitre.
  • Et plus que tout, comprenez bien ce que vous faites et pourquoi vous le faites. Je ne parle pas de comprendre comment décrire ou classer des documents, comment les indexer avec les bonnes métadonnées, comment les numériser ou comment faire fonctionner votre beau logiciel de GID. Je veux plutôt vous sensibiliser à l’importance de votre rôle dans la société. À la fin de la journée, quand vous regarderez derrière vous, quelle aura été votre contribution ? Quelle différence aurez-vous fait ? Que ce soit une boite de document de moins à classer ou un nouveau fonds sauvé de l’oubli, vous aurez amélioré quelque chose dans le monde qui vous entoure.

Voilà donc votre programme tout établi. Rien n’est garanti, mais vous avez là tout ce qu’il faut pour faire augmenter les probabilités de votre réussite. Ou si vous préfére : tout ce qu’il faut pour vous donner une chance !

Les agendas des ministres : la démocratie contre l’histoire

DANIEL DUCHARME, chargé de cours

Les partisans du big data me font sourire, parfois. Car ils s’imaginent œuvrer pour une plus grande démocratie dans la gestion des affaires de l’État. Au Québec, par exemple, vous trouverez un site Web consacré à la transparence des membres du Conseil des ministres. Depuis le 1er janvier 2015, un citoyen peut consulter à loisir l’emploi du temps de son ministre préféré. En novembre 2014, dans un article publié sur le site du journal Le Devoir, le ministre Jean-Marc Fournier, ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie canadienne, estimait qu’il s’agissait d’une illustration concrète du souci de transparence des élus.

Que faut-il penser, d’un point de vue archivistique [*], de cette « avancée » de la démocratie parlementaire ? Lors du 7e Symposium du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les archives (GIRA), dans une conférence prononcée par Alain Savoie, président de la société Irosoft, celui-ci se demandait s’il fallait tout publier, tout diffuser. En traitant de la question des données [*] ouvertes (Open Data), il a justement pris en exemple les agendas… Il a alors souligné – avec justesse, je crois – que le fait de mettre en ligne des agendas allait amoindrir leur valeur probante [*]. En effet, que pensez-vous qu’un ministre va inscrire dans son agenda s’il est disponible en ligne? Il ne mettra sur le Web que ses rendez-vous officiels et en taira plusieurs autres, ce qui me semble assez normal compte tenu de son degré d’exposition. Surtout, il ne mettra aucun nom, aucune adresse, aucun renseignement susceptible de contrevenir à la législation sur la protection des données à caractère personnel. Et que va-t-il résulter de tout ça ? Un agenda réduit à sa plus simple expression. Un document pauvre en information.  Bref, sous prétexte de contribuer à la démocratie, on vide les agendas de leur substance, de leur contenu informationnel et, surtout, on atténue grandement leur qualité de source pour l’histoire.

Les documents d’archives constituent des matériaux pour les chercheurs, historiens ou pas. Ils permettent de témoigner des faits et gestes des personnes et des organisations à travers le temps. Certes, les mettre à la disposition immédiate du public peut constituer un bienfait pour la démocratie, mais, comme toute médaille à son revers, cela atténue grandement leur valeur d’information et de témoignage [*]. Résultat: demain, nos enfants et leurs enfants ne sauraient plus rien.

[*] Les définitions suivantes sont tirées de la Terminologie de base en archivistique de l’EBSI (2015):

  • Archivistique: La discipline qui recouvre les principes et les méthodes régissant la création, le traitement, la conservation et l’utilisation des archives. (Couture, Ducharme et Rousseau, 1988, p. 56).
  • Donnée:  La donnée peut être définie comme la plus petite représentation conventionnelle  et fondamentale d’une information (fait, notion, objet, nom propre, chiffre, statistique, etc.) sous une forme analogique ou digitale permettant d’en effectuer le traitement manuel ou automatique (informatique).  (Rousseau et Couture, 1994, p.123)
  • Valeur de témoignage: Permet de saisir la capacité des documents de renseigner sur son producteur. Dans le cas d’un organisme, les archives doivent témoigner de son organisation, de ses activités, de son fonctionnement, de ses réalisations et de son évolution. Dans le cas d’un individu, les documents témoignent de sa vie personnelle et professionnelle, de ses réalisations et de son évolution. » (Charbonneau et Robert, 2001, p. 255)
  • Valeur probante: Qualité des documents d’archives qui leur permette de servir de preuve.  (DAF, 2007, p. 35)