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La norme NCIAA : Un autre pas vers la normalisation du travail des archivistes

FRANÇOIS CARTIER,  chargé de cours

En 1990, la communauté archivistique canadienne se dotait d’une norme pour décrire les archives historiques, les Règles pour la description des documents d’archives (RDDA). Pour la première fois, les archivistes d’ici disposaient d’un outil permettant de structurer et d’alimenter de façon uniforme leurs descriptions archivistiques. De plus, cette normalisation ouvrait la voie à l’établissement d’un catalogue national fédérant les notices descriptives issues d’institutions culturelles partout au pays[1]. Cet exploit est en grande partie tributaire de l’adoption quasi généralisée des RDDA par la communauté archivistique canadienne [2].

Presque 30 ans plus tard, c’est un autre type de norme que les archivistes canadiens sont en voie de se donner : la Norme canadienne d’information pour l’acquisition d’archives (NCIAA). La norme est le résultat des efforts du Groupe de travail sur la norme nationale d’acquisition, un comité spécial relevant du Conseil canadien des archives. Les membres de ce comité sont tous des archivistes professionnels issus d’universités, de musées et d’institutions d’archives comme BAnQ et BAC.

Le principal argument justifiant la création d’une telle norme est qu’il se peut (…) qu’un certain degré de disparité existe au sein de la communauté archivistique au niveau de l’information requise lors de l’acquisition. Toutefois, les éléments constituant le processus d’acquisition sont assez généralisés pour soutenir le développement de la présente norme afin de documenter l’acquisition d’archives [3]. En ce sens, le fait de normaliser et de structurer les informations sur l’acquisition des documents en améliore le contrôle physique et intellectuel. Cela vient donc appuyer le travail réalisé avec les autres fonctions archivistiques, comme la classification, la description, la préservation et la diffusion [4].

Il serait trop long de détailler ici le contenu de la NCIAA. Mais on peut déjà avoir une bonne idée de la composition de cette norme avec ce descriptif sommaire des sept sections :

 

Zone d’information sur l’identité

 

Information identifiant uniquement l’établissement et la notice d’acquisition elle-même. Inclut aussi l’information identifiant la méthode de transfert; les moyens légaux selon lesquels les documents sont transférés à l’établissement; et, le cas échéant, l’information concernant les documents apparentés se trouvant déjà dans le dépôt.

 

Zone d’information sur la source

 

Information sur la provenance des documents, ou sur qui a créé, a détenu, ou a transféré les documents à l’établissement. L’exhaustivité des éléments d’information sur la source des documents permet de créer une historique de la conservation plus complète.

 

Zone d’information sur les documents

 

Information sur la date, la langue et l’étendue des documents acquis, de même qu’une description de leur portée et contenu. L’information sur l’étendue décrit autant la quantité que le type de documents, de même que les besoins pour l’entreposage. L’étendue de l’acquisition reçue est notée, car elle pourrait différer de la quantité éventuellement retenue.

 

Zone d’information de gestion

 

Localisation physique, information sur les droits et l’accès, information sur l’évaluation matérielle des documents (qui identifie et soutien la planification pour de futures activités de préservation), information sur l’évaluation (pour les valeurs archivistique et monétaires), de même que toute documentation associée qui contextualise ou favorise l’accès aux documents acquis.

 

Zone d’information sur les événements

 

Information à propos des intervention apportées lors du processus d’acquisition par le personnel de l’établissement.

 

Zone d’information générale

 

Notes générales ayant pour objet de consigner toute autre information pertinente qui ne trouve pas dans d’autres éléments de la norme.

 

Zone d’information de contrôle

 

Information sur la création de la notice d’acquisition, de même que sur toute modification y étant apportée au fil du temps.

Grâce à l’ensemble des informations colligées dans ses sept sections, la norme cherche à saisir de l’information relative aux étapes clés du processus d’acquisition, afin de préciser la nature des documents d’archives ainsi acquis, leur source ou provenance, ainsi que les événements liés à la manière dont une institution les traite [5].

Avec la rédaction complétée à l’automne, le Groupe de travail a diffusé le projet de norme à la communauté archivistique canadienne avec le 31 décembre comme date limite pour une rétroaction. Toutefois, la norme n’était disponible qu’en anglais. Une rapide traduction a été effectuée pendant le temps des Fêtes, si bien que la date butoir pour la fin de la consultation a été repoussée au 1er mars 2018. Il est donc encore temps d’aller examiner la norme et d’envoyer vos commentaires. Voici le lien où trouver l’information : https://www.surveymonkey.com/r/NCIAA.


[1] Ce portail, au niveau national, a pris la forme du portail « Archives Canada » (http://www.archivescanada.ca/homeFR?lang=fr). Au Québec, les notices sont regroupées sur le site du Réseau de diffusion des archives du Québec (http://rdaq.banq.qc.ca/accueil).

[2] Cette adhésion a été confirmée par Wendy Duff dans l’article suivant : « The Acceptance and Implementation of the Rules for Archival Description by Canadian Archives : A Survey », Archivaria, no. 47, printemps 1999, pp. 27 à 45.

[3] Conseil canadien des archives. Norme canadienne d’information pour l’acquisition d’archives. Ottawa, Conseil canadien des archives, 2017. Page 4.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

Les trois clés de la description : contexte, contexte, contexte

FRANÇOIS CARTIER, chargé de cours

Je regardais récemment l’émission Antiques Roadshow. Le concept est simple : des gens apportent leurs antiquités sur le plateau de tournage et des experts les évaluent. Chemin faisant, nous en apprenons aussi sur la petite histoire de chaque objet évalué. Un homme a apporté un ensemble d’objets et de documents ayant appartenu à son grand-père, incluant une photographie de ce dernier en uniforme de capitaine de navire, deux médailles, une montre de poche et de la correspondance.

En 1913, alors qu’il était quartier-maître sur un navire américain, le grand-père en question avait participé à un sauvetage dans l’Atlantique-nord. Il répondait à un appel de détresse du S.S. Volturno, un navire anglais désemparé pendant une tempête, et réussit à sauver une partie des passagers menacés de naufrage.

Le S.S. Volturno.  Source : wikipedia

Peu après, le grand-père reçut deux médailles pour son courage, une du gouvernement anglais et une autre des autorités américaines. Il a aussi reçu une montre de poche en or de la part de ses propres passagers en appréciation de son courage, de même que des lettres de reconnaissance des passagers sauvés du désastre.

Pour l’ensemble des objets et documents, l’évaluateur du Antiques Roadshow donna une valeur monétaire de 1 500 à 2 500 dollars américains. Une valeur intéressante, certes, mais ce qu’il a mentionné par la suite m’a frappé : «  Cette valeur est surtout due à l’excellente provenance de cette collection ». En langage d’archiviste, ça veut dire que ces documents et objets avaient été très bien contextualisés. Ceci a permis de donner une valeur monétaire intéressante à l’ensemble examiné ce jour-là, mais cela indique aussi que la fameuse « valeur de témoignage » assurée par le respect de principe de provenance avait été sauvegardée. Si chaque item relié à ce sauvetage avait été sorti de son contexte de création et éparpillé aux quatre coins des États-Unis (par exemple, les médailles dans la collection d’un musée X, la montre dans le musée Y et les lettres aux Archives nationales des États-Unis), on imagine facilement l’appauvrissement du message.

Autre exemple. La carte de 1888 intitulée Map Shewing Mounted Police Stations & Patrols Throughout the North-West Territories, During the Year 1886 (oui, je sais, les cartes du XIXe siècle avaient des titres épouvantablement longs!). Comme son titre l’indique, ce document cartographique montre les postes et les patrouilles de la police montée canadienne dans les territoires du Nord-Ouest, ce qui à l’époque correspondait en partie aux provinces de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. L’information contenue dans la carte est historiquement très intéressante.

Source : Bibliothèque et Archives Canada

Toutefois, la réelle signification de cette carte vient de sa raison d’être, de son contexte : un an après la rébellion du Nord-Ouest de 1885, elle est là pour montrer que le gouvernement de John A. MacDonald a repris le contrôle de ce territoire et que la police montée veille au grain. Cette carte, au final, est une démonstration de force.

Détail de la carte de 1888

Au-delà de ces deux exemples, on pourrait argumenter que chaque document d’archives, seul ou en agrégats, ne peut vraiment « parler » sans son contexte de création. Après tout, un document qui porte le qualificatif d’historique n’est que la manifestation d’une histoire, en tout ou en partie !

Personne ne se lève un matin en disant : « Tiens, aujourd’hui, je vais créer des documents d’archives ». Une lettre, une photo, un enregistrement audio, tous sont produits pour une raison. Malheureusement, ces « raisons » sont souvent vite oubliées. De plus, il serait fastidieux, voire impossible pour un  archiviste de donner (ou redonner) à chaque document le contexte qu’il mérite dans une notice descriptive. Face à la masse d’information qui dort encore dans les dépôts d’archives en attente de « parler », nul n’est tenu à l’impossible.

Mais on peut essayer ! Comme archivistes, vous pouvez redonner ce contexte au plus grand nombre de documents possible. Et ceci s’applique même à ceux qui se définissent comme gestionnaire de documents. Imaginez ! Vous avez la chance d’être présents lors de la création des documents ! À vous d’assurer qu’ils sauront raconter leur histoire pour les prochaines générations de chercheurs !

Tomber en amour : Le syndrome de « l’attachement archivistique »

FRANÇOIS CARTIER, chargé de cours

Depuis le début de ma carrière, j’ai eu le privilège de traiter de nombreux fonds d’archives, d’abord au Centre d’histoire La Presqu’île à Vaudreuil-Dorion, puis au Musée McCord de Montréal, et maintenant à l’INRS. Certains fonds étaient de taille modeste, quelques centimètres tout au plus. D’autres au contraire se sont avérés tout un défi avec leurs nombreux mètres linéaires.

À chaque fois, le plaisir est le même : découvrir une nouvelle personne, une nouvelle famille ou une institution du passé. C’est aussi l’occasion d’appliquer de façon très immédiate les fonctions archivistiques apprises à l’université : évaluation, classification, description, indexation et préservation.

Au-delà de la découverte que nous permet la description des documents, la satisfaction obtenue à la fin du traitement, avec les dossiers bien identifiés, les boites rangées, les notices saisies dans notre base de données, nous ressentons un sentiment d’avoir accompli quelque chose de significatif. On pense aux créateurs du fonds et du service qu’on vient de leur rendre. On pense aussi aux chercheurs qui auront accès à un nouveau corpus de documents bien organisés. Ou peut-être est-ce en plus le côté obsessif-compulsif propre à l’archiviste, de tout voir bien ordonné. Allez savoir !

Ce dont je veux parler dans ce billet, toutefois, est d’une autre nature, quelque chose qu’on n’enseigne pas (ou peu) dans les cours d’archivistique. Alors voilà, je dois m’en confesser : je suis souvent tombé en amour avec un fonds d’archives. J’en conviens, c’est probablement la chose la plus « geek », archivistiquement parlant, qu’un professionnel de notre domaine puisse déclarer. Mais je ne suis pas le seul. Je me souviens d’une stagiaire devenue complètement absorbée par le fonds qu’elle traitait. Il s’agissait du fonds d’une famille anglophone de Montréal, les Clouston. C’était il y a plus de quinze et elle m’en parle encore !

Nul besoin de tomber sur le fonds d’un prix Nobel ou d’un premier ministre (ou encore plus rarement, me direz-vous, les deux combinés !). Vers 2005, je traitais un petit fonds qui contenait essentiellement la correspondance qu’un soldat canadien envoyait à sa famille à Montréal pendant la Deuxième guerre mondiale. Les lettres suivaient la progression du jeune homme : camp d’entrainement en Angleterre, débarquement de Normandie, nord de la France, Belgique, puis Pays-Bas. Les lettres étaient alors datées de mars 1944. On sentait que la guerre allait bientôt prendre fin sur le front européen. Puis, la dernière lettre : une missive de l’aumonier du régiment qui annonçait le décès du soldat à sa pauvre mère. Triste fin, à quelques semaines de la victoire alliée en Europe ! Et c’est pour cette raison que je me souviens très bien de cette lettre parmi toutes celles qui me sont passées entre les mains depuis que je travaille avec des archives.

Première page de la lettre de l’aumonier du 1er Bataillon des Black Watch du Canada où est annoncé la mort du soldat James Will au débu mars 1945, quelques semaines avant la fin de la guerre en Europe. Source : Musée McCord, Montréal. P621 – Fonds de la Famille Will (P621/A3.2.1).

 

 

Source : Musée McCord, Montréal. P621 – Fonds de la Famille Will (P621/A3.2.1)

Traiter un fonds d’archives, c’est souvent comme un roman ou une biographie. On se plonge dans la vie d’autrui par la procuration que nous
offrent les archives. Avec la classification et la description, on reconstruit, en quelque sorte, l’existence passée d’une personne physique ou morale. Après tout, c’est la finalité du traitement archivistique, de laisser derrière nous un ensemble structuré et accessible. Mais il faut aussi faire preuve d’un détachement olympien pour ne pas être touché, ne serait-ce qu’un petit peu, par l’histoire que nous reconstruisons. Et comme un bon livre, on peut sentir un certain vide quand le traitement arrive à sa fin. Un peu comme quand on tombe en amour et que l’objet de notre affection quitte la pièce.

La morale de cette histoire : peut-être suis-je un éternel romantique, légèrement obsessif-compulsif avec des tendances voyeuristes ? Bien sûr ! Nous le sommes tous et toutes un peu à divers degrés ! Ceci veut dire que le traitement d’un fonds d’archives, au-delà des questions de technique et de méthode, est aussi une affaire humaine. Nous avons souvent entre les mains la vie (consignée) de personnes qui, comme nous, ont tenté de faire leur bout de chemin dans le monde.

On pourrait argumenter pour ou contre la dimension émotionnelle quand nous nous plongeons dans des archives non-traitées. Pour moi, trop de froideur technique ne pourrait pleinement rendre compte de la charge humaine portée par les documents. Au final, cette sensibilité contribue à produire un meilleur produit final, ne serait-ce qu’une meilleure portée et contenu, ou un choix plus vivant de termes d’indexation dans notre base de données. Aussi, et surtout, pour nous archivistes, tout ça nous fait grandir un peu plus comme individus, même si on expose occasionnellement notre cœur d’archiviste à de petites peines d’amour !