Archives de catégorie : Gestion des archives définitives

Les trois clés de la description : contexte, contexte, contexte

FRANÇOIS CARTIER, chargé de cours

Je regardais récemment l’émission Antiques Roadshow. Le concept est simple : des gens apportent leurs antiquités sur le plateau de tournage et des experts les évaluent. Chemin faisant, nous en apprenons aussi sur la petite histoire de chaque objet évalué. Un homme a apporté un ensemble d’objets et de documents ayant appartenu à son grand-père, incluant une photographie de ce dernier en uniforme de capitaine de navire, deux médailles, une montre de poche et de la correspondance.

En 1913, alors qu’il était quartier-maître sur un navire américain, le grand-père en question avait participé à un sauvetage dans l’Atlantique-nord. Il répondait à un appel de détresse du S.S. Volturno, un navire anglais désemparé pendant une tempête, et réussit à sauver une partie des passagers menacés de naufrage.

Le S.S. Volturno.  Source : wikipedia

Peu après, le grand-père reçut deux médailles pour son courage, une du gouvernement anglais et une autre des autorités américaines. Il a aussi reçu une montre de poche en or de la part de ses propres passagers en appréciation de son courage, de même que des lettres de reconnaissance des passagers sauvés du désastre.

Pour l’ensemble des objets et documents, l’évaluateur du Antiques Roadshow donna une valeur monétaire de 1 500 à 2 500 dollars américains. Une valeur intéressante, certes, mais ce qu’il a mentionné par la suite m’a frappé : «  Cette valeur est surtout due à l’excellente provenance de cette collection ». En langage d’archiviste, ça veut dire que ces documents et objets avaient été très bien contextualisés. Ceci a permis de donner une valeur monétaire intéressante à l’ensemble examiné ce jour-là, mais cela indique aussi que la fameuse « valeur de témoignage » assurée par le respect de principe de provenance avait été sauvegardée. Si chaque item relié à ce sauvetage avait été sorti de son contexte de création et éparpillé aux quatre coins des États-Unis (par exemple, les médailles dans la collection d’un musée X, la montre dans le musée Y et les lettres aux Archives nationales des États-Unis), on imagine facilement l’appauvrissement du message.

Autre exemple. La carte de 1888 intitulée Map Shewing Mounted Police Stations & Patrols Throughout the North-West Territories, During the Year 1886 (oui, je sais, les cartes du XIXe siècle avaient des titres épouvantablement longs!). Comme son titre l’indique, ce document cartographique montre les postes et les patrouilles de la police montée canadienne dans les territoires du Nord-Ouest, ce qui à l’époque correspondait en partie aux provinces de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. L’information contenue dans la carte est historiquement très intéressante.

Source : Bibliothèque et Archives Canada

Toutefois, la réelle signification de cette carte vient de sa raison d’être, de son contexte : un an après la rébellion du Nord-Ouest de 1885, elle est là pour montrer que le gouvernement de John A. MacDonald a repris le contrôle de ce territoire et que la police montée veille au grain. Cette carte, au final, est une démonstration de force.

Détail de la carte de 1888

Au-delà de ces deux exemples, on pourrait argumenter que chaque document d’archives, seul ou en agrégats, ne peut vraiment « parler » sans son contexte de création. Après tout, un document qui porte le qualificatif d’historique n’est que la manifestation d’une histoire, en tout ou en partie !

Personne ne se lève un matin en disant : « Tiens, aujourd’hui, je vais créer des documents d’archives ». Une lettre, une photo, un enregistrement audio, tous sont produits pour une raison. Malheureusement, ces « raisons » sont souvent vite oubliées. De plus, il serait fastidieux, voire impossible pour un  archiviste de donner (ou redonner) à chaque document le contexte qu’il mérite dans une notice descriptive. Face à la masse d’information qui dort encore dans les dépôts d’archives en attente de « parler », nul n’est tenu à l’impossible.

Mais on peut essayer ! Comme archivistes, vous pouvez redonner ce contexte au plus grand nombre de documents possible. Et ceci s’applique même à ceux qui se définissent comme gestionnaire de documents. Imaginez ! Vous avez la chance d’être présents lors de la création des documents ! À vous d’assurer qu’ils sauront raconter leur histoire pour les prochaines générations de chercheurs !

Archives-moi : un réseau social dédié à la diffusion des archives

DANIEL DUCHARME, chargé de cours

Simon Côté-Lapointe : Création inspirée du mouvement Dada créé à partir d’archives. Exemple d’un remix diffusé sur Archives-moi.

Archives-moi est une initiative de deux jeunes archivistes qui ont pris la décision de ne pas attendre après l’État pour s’occuper des documents patrimoniaux des citoyens. Certes, d’autres services d’archives, comme Archives Passe-Mémoire (APM), notamment, jouent aussi ce rôle en acquérant, traitant, conservant et diffusant les écrits personnels de citoyens qui ont traversé l’existence sans nécessairement occuper une position de prestige dans l’échiquier sociétal. Mais APN procède à l’ancienne en ne collectant que des écrits majoritairement – pour ne pas dire exclusivement – sous forme papier. Cela ne leur enlève rien, remarquez, car leurs archives sont anciennes aussi, et cela a l’avantage de leur permettre de les diffuser. Comme on sait, les écrits personnels regorgent de données à caractère personnel, justement… et, en tant qu’archivistes, il est de notre devoir de les protéger. Et je n’aborderai même pas la question du droit d’auteur qui complique davantage les choses…

Bref, APN joue un rôle essentiel dans la préservation de la mémoire intime de certains Québécois, mais Archives-moi adopte une autre approche, une approche davantage dans l’ère du temps, plus ludique, plus conviviale, moins axée sur la conservation, davantage sur la diffusion. Le projet consiste à élaborer une plateforme collaborative dédiée à la diffusion des archives, un lieu virtuel où tout un chacun pourra y déposer ses archives personnelles numériques et/ou numérisées. On aura compris que l’enjeu n’est pas la conservation du patrimoine (encore que…) mais plutôt sa diffusion à grande échelle sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, Priscilla Boisvert et Michel Carrière, les instigateurs du projet, n’hésitent pas à parler de leur application comme d’un « futur réseau social des nostalgiques ».

Les deux jeunes archivistes (dont l’un d’entre eux a étudié à l’EBSI) sont à la recherche d’un financement participatif et, pour ce faire, ont lancé une campagne sur Kickstarter. Ils ont besoin d’un coup de pouce de la part de la communauté. C’est donc le moment ou jamais de démontrer votre intérêt pour les archives autrement que par de vaines paroles qui ne passeront pas à l’histoire… Allez leur donner un coup de pouce en participant au financement du projet ! Pour ce faire, suivez les liens ci-dessous: